
Le granulome de la corde vocale
Le granulome du processus vocal (GPV), décrit pour la première fois par Chevalier Jackson en 1928 comme « l'ulcère de contact du larynx », est connu dans la littérature sous de nombreux noms, notamment l'ulcère de contact laryngé, le granulome de contact, le granulome des cordes vocales, le granulome post-intubation, le granulome aryténoïde...
Les granulomes sont des lésions bénignes localisées sur le tiers postérieur de la corde vocale. Cette région correspond, sur le plan anatomique, à l’apophyse vocale et au corps de l’aryténoïde. A ce niveau, la muqueuse repose directement sur le cartilage sous-jacent, sans la présence d’un espace de Reinke retrouvé dans les 2/3 antérieurs de la corde vocale.
Cette mince couche de muqueuse est susceptible d'être écrasée entre 2 plans durs : d’une part le cartilage sur lequel elle repose, et d’autre part tout objet « contendant » qui s’applique sur elle (sonde d’intubation, aryténoïde controlatéral). Elle peut également être traumatisée chimiquement par l’acide contenu dans le liquide gastrique : lors du reflux pharyngo-laryngé, ce liquide peut remonter jusqu’au pharynx et être en contact avec le mur postérieur du larynx que constituent les cartilages aryténoïdes et la commissure postérieure.
Le traumatisme chronique, mécanique ou chimique, provoque une rupture de la muqueuse, allant d’une simple érosion (perte de substance ne concernant que l’épithélium de surface et guérissant sans cicatrice) à une ulcération (perte de substance atteignant les couches sous-muqueuses profondes, guérissant en laissant une cicatrice). La perte de substance muqueuse (ulcération) est entretenue par la persistance du traumatisme, et elle s’accompagne d’une réaction inflammatoire avec formation de tissu de granulation, aboutissant au granulome.
On distingue 3 types de granulomes : les granulomes post-intubation, les granulomes compliquant un reflux gastro-œsophagien et les granulomes de contact (liés à un trouble du geste vocal).
Les différents types de granulomes
Le granulome post-intubation
Le granulome est une complication précoce ou tardive fréquente des intubations endotrachéales.
La mise en place et le maintien d’une sonde d’intubation peut provoquer des lésions mécaniques liées à la friction et la compression de la muqueuse dans la partie postérieure du larynx. Ces lésions peuvent être aggravées par des phénomènes ischémiques liés à la présence du ballonnet (qui permet de bloquer la sonde endotrachéale) ou lié à l’état hémodynamique du patient (hypotension avec hypoperfusion des tissus).
Ces lésions peuvent s’installer très rapidement, après 12 voire 6 heures de ventilation mécanique, ou apparaître de manière retardée, plusieurs semaines à plusieurs mois après une intubation.
Les principaux symptômes du granulome post-intubation sont la survenue, dans les heures suivant une extubation ou de manière secondaire dans les semaines ou les mois qui la suivent, d’une dysphonie et/ou d’une dyspnée. Le volume du granulome peut aller jusqu’à créer une obstruction de la voie aérienne qui peut mener à une détérioration rapide de l’état respiratoire du patient, allant jusqu’à une détresse respiratoire.
Le granulome post-intubation a un taux élevé de résolution spontanée. Il peut régresser spontanément, dans un délai variable pouvant aller de quelques semaines à quelques mois. En cas de persistance, l’excision chirurgicale donne un faible taux de récidive, contrairement au granulome lié aux autres étiologies.
Le granulome lié au reflux gastro-oesophagien
Plusieurs hypothèses physiopathologiques sont émises pour expliquer la survenue d’un granulome en cas de reflux gastro-oesophagien et surtout gastro-laryngé :
- Irritation directe de la muqueuse laryngée par l’acide chlorhydrique et la pepsine contenus dans le liquide gastrique
- Déclenchement par l’acide de laryngospasme, de toux et de secrétions par stimulation vagale
- Altération du fonctionnement du sphincter supérieur de l’œsophage ou anomalie du péristaltisme œsophagien déclenché par le RGO
La mesure de l’acidité dans l’hypopharynx des patients présentant une laryngite par reflux (au cours d’une pHmétrie) est plus élevée que les sujets sains. Mais le reflux acide existe chez près de 20 % des sujets asymptomatiques et il serait, en partie, physiologique.
Le reflux gastro-œsophagien, quand il atteint le larynx, ne provoque donc pas systématiquement de lésion muqueuse et encore moins de granulome...
Différents auteurs supposent qu’une inflammation de la muqueuse laryngée (liée à une toux chronique ou à une infection/inflammation ORL) pourrait rendre la muqueuse laryngée plus sensible au reflux pharyngé physiologique et expliquer les symptômes persistants malgré un traitement contre le RGO.
Le liquide gastrique entraîne une inflammation localisée de manière élective à la partie postérieure du larynx :
- Oedème, énanthème (rougeur), ulcération de la muqueuse recouvrant les aryténoïdes, au niveau de leur sommet et de leur face laryngée
- Hypertrophie de la commissure postérieure (pachydermie laryngée), avec aspect de « soufflet d’accordéon »
- Secrétions muqueuses
Dans la majorité des cas, la corde vocale n’est pas atteinte par le liquide gastrique : la portion musculo-membraneuse reste bien nacrée, seule la partie adjacente au corps de l’aryténoïde peut apparaître inflammatoire.
70 à 80 % des patients porteurs d’un granulome lié principalement, voire exclusivement au RGO répondent à la prise en charge médicale et voient leur lésion disparaître en quelques semaines.
Cependant, en cas de RGO, le taux de récidive du granulome est d’environ 20 %.
Le granulome de contact
Dans une première étude, en 1935, Jackson a suggéré qu’une cause mécanique pouvait être à l’origine d’un granulome laryngé. Il décrivait un effet « marteau et enclume » : les apophyses vocales des aryténoïdes, en se heurtant violemment pendant la phonation, entraînent une ulcération muqueuse (ou « ulcère de contact ») et une réponse inflammatoire avec production d’un tissu de granulation.
La stratégie thérapeutique de ces granulomes doit viser à diminuer cette action de martèlement, en apprenant au patient à produire une phonation plus douce et sans attaque glottale dure.
Le déséquilibre entre les forces d’adduction laryngée et la pression sous-glottique lors de l’attaque phonatoire est la cause actuellement reconnue comme étant à l’origine des traumatismes de la muqueuse recouvrant l’apophyse vocale et le corps de l’aryténoïde.
Tout phénomène à l’origine d’une baisse du rendement vocal peut faire entrer le patient dans un comportement de forçage vocal responsable, en cas d’attaques dures initiant la phonation, d’érosion, voire d’ulcération de la fragile muqueuse laryngée postérieure.
On peut ainsi craindre la survenue d’un comportement avec attaques dures en cas de défaut d’accolement des CV entraînant une compensation laryngée hypertonique (dysphonie dysfonctionnelle, défaut de mobilité cordale, atrophie cordale, cicatrice ou malformation responsable d’une concavité du bord libre de la CV...).
Le granulome de contact représente environ 25% des cas de granulome. Pour certains auteurs, les granulomes « idiopathiques » sont des granulomes de contact dont le diagnostic de forçage vocal n’a pas été fait...
Les facteurs favorisant la survenue d’un granulome de contact sont les suivants :
- Le sexe masculin
- Le comportement de forçage vocal
- Le hemmage et la toux
Le granulome de contact est plus fréquent chez les hommes que chez les femmes (10 à 20 hommes pour une femme dans certaines études). Une des hypothèses émises pour expliquer cette sur représentation masculine des granulomes de contact est le fait que les défauts d’accolement de la région postérieure des CV sont très fréquents (voire physiologiques) chez la femme.
Par ailleurs, les hommes seraient plus prédisposés aux modifications du larynx liées à l'âge, ce qui peut conduire à des comportements hyper fonctionnels (certaines lésions structurelles comme les sulcus ne se révèlent, sur le plan vocal, que lorsque avec l’âge, la masse cordale diminue).
La prise en charge thérapeutique orthophonique et médicamenteuse permet une disparition de ce type de granulome dans 65% des cas.
Mais le taux de récidive est d’environ 35 % chez les patients présentant un granulome lié à un comportement de forçage vocal.
Clinique du granulome
Quelle que soit leur étiologie, les granulomes ne sont pas différentiables sur le plan de leur aspect, localisation et retentissement clinique.
Seule leur évolution et leur prise en charge thérapeutique varient en fonction des étiologies suspectées.
Le recueil de l’histoire du patient et surtout de ses antécédents est fondamental pour établir le meilleur protocole thérapeutique.
Aspect du granulome
Le GPV se développe sur la face médiale ou la face supérieure de l’apophyse vocale du cartilage aryténoïde. Il peut être uni ou bilatéral, et dans ce cas généralement asymétrique.
La lésion peut prendre des aspects variés : il s’agit le plus souvent d’une lésion arrondie, pédiculée ou sessile, pâle (séreuse) ou rouge (hémorragique).
Signes cliniques du granulome
Les plaintes du patient doivent être recherchées, comme pour les autres pathologies laryngées, dans les différentes fonctions assurées par le larynx.
Les plaintes respiratoires
L’obstruction des voies respiratoires est la plainte majeure, parfois catastrophique d’un patient porteur d’un granulome. Exceptionnelle dans le cas des GPV compliquant un RGO ou un comportement de forçage vocal, cette complication est l’apanage des granulomes post-intubation. Elle peut survenir dans les heures ou les mois suivant une extubation.
En dehors de cette complication dramatique, les patients porteurs de GPV ont peu de plaintes respiratoires. Ils peuvent décrire :
Une impression de serrage laryngé à la ventilation, sans véritable dyspnée
Un manque d’air pour terminer leurs phrases (signe pouvant être plutôt attribué au comportement de forçage vocal)
Les troubles de la déglutition
La majorité des patients porteurs de GPV ne décrivent pas de fausses routes ni de blocages alimentaires.
Ils peuvent se plaindre de dysphagie avec douleur à la déglutition et besoin de faire un effort pour faire progresser les aliments (signes pouvant plutôt être attribués au RG0 et/ou à l’hypertonie laryngée).
Les efforts à glotte fermée
Les patients porteurs de GPV ne sont pas limités dans la réalisation des efforts à glotte fermée. Ils ont plus souvent que les autres une toux et un hemmage (à l’origine ou conséquence du granulome ?), qui restent sonores et efficaces.
Les troubles liés à la phonation
Le GPV, en fonction de sa taille et de sa localisation, peut gêner l’accolement des CV lors de la phonation et entraîner un certain nombre d’altérations vocales :
- Un timbre soufflé et/ou éraillé (lié à la présence du GPV, aux conséquences de l’inflammation liée au RGO ou du comportement de forçage vocal ?)
- Une aggravation de la hauteur tonale (recherche d’un meilleur accolement des bords libres en épaississant les CV)
- Une attaque vocale dure et à intensité élevée
Principes thérapeutiques
Même en cas de pathologie relativement asymptomatique, le traitement du GPV est nécessaire pour prévenir ses exceptionnelles, mais possibles complications (obstruction des voies respiratoires) ou séquelles fonctionnelles (ankylose crico-aryténoïdienne, sténose laryngée).
Les moyens thérapeutiques
Les traitements préventifs
Ces traitements visent à éliminer les facteurs potentiellement à l’origine de GPV, avant la survenue d’une telle lésion :
- Prévention des complications de l’intubation oro-trachéale
- Prévention et traitement de la toux
- Prévention et traitement du RGO
- Les conseils d’hygiène vocale
- La formation des professionnels de la voix
Les traitements médicamenteux
Ces traitements sont instaurés lors du diagnostic d’un GPV. Leur utilisation, le plus souvent en association, dépend de l’étiologie suspectée comme étant impliquée dans la survenue de la lésion.
Ils comprennent les traitements anti-RGO, les antibiotiques, les corticoïdes.