Les dysphonies:

Analyse du timbre

Lors du bilan phoniatrique réalisé chez un patient pour lequel aucune pathologie à risque vital n’est suspectée, on va tenter, par l’analyse des éléments acoustiques du timbre, d’orienter le diagnostic et comprendre les mécanismes physiopathologiques à l’origine de la dysphonie, que ce soit une plainte audible, ou seulement ressentie par le patient.

Dans ce contexte, le but du phoniatre est de faire la part des choses entre:

  • une dysphonie organique ou fonctionnelle

  • une dysphonie organique avec lésion congénitale ou acquise

  • une dysphonie dysfonctionnelle simple ou compliquée

  • une dysphonie dysfonctionnelle ou psychogène

  • et devant une dysphonie à cordes «normales» : une dysphonie dysfonctionnelle ou une dysphonie organique avec lésion dans l’épaisseur de la corde, ou bien présence d’un silllon

En complément de l’étude de l’histoire du trouble vocal et de l’analyse stroboscopique des CV, l’analyse du timbre nous fournit un grand nombre de renseignements cliniques, et participe à l’établissement d’un diagnostic précis concernant l’origine de la dysphonie.

Le timbre « normal »

La notion de normalité vocale n’a pas de sens, et il ne saurait être question ici de jugement ni d’esthétique. Cependant, la cotation de l’altération du timbre doit se référer à une norme : dans un timbre non altéré sur le plan phoniatrique, on entend uniquement le fondamental laryngé et ses harmoniques, on n’entend pas de souffle, pas d’éraillement ni de raucité.

Lorsqu’on entend un ou plusieurs de ces éléments, cela nous renseigne sur le comportement vibratoire du larynx.

Pour obtenir un timbre normal, il faut que plusieurs conditions soient réunies sur le plan de la mécanique vibratoire cordale.

Accolement des CV

Accolement pré-phonatoire des CV

Les CV doivent s’accoler sur toute la longueur de leur bord libre, pour créer un obstacle à l’écoulement de l’air expiré: la colonne d’air vient buter contre les CV, créant la pression sous-glottique (PSG). Les forces expiratoires augmentent la PSG et lui font atteindre la valeur du seuil phonatoire: la PSG devient supérieure à la pression d’accolement des CV et celles-ci se laissent déformer par le passage du «puff» d’air, ce qui déclenche la vibration.

Ainsi, l’accolement des CV doit être suffisant pour générer la PSG et permettre son élévation. Un défaut d’accolement des CV va rendre plus difficile l’élévation de la PSG, et la fuite d’air liée au défaut d’accolement va s’accompagner d’un souffle plus ou moins audible à l’attaque des sons.

L’accolement pré-phonatoire des CV est dépendant d’un équilibre entre la pression d’accolement des CV (liée à l’action des muscles adducteurs des CV) et la PSG (liée à l’action des forces expiratoires). Cette action des CV relève de l’action sphinctérienne du larynx (sphincter à faible pression).

Accolement des CV au cours du cycle vibratoire

Pendant le déroulement du cycle vibratoire, le bord libre des CV va s’écarter de sa position médiane et y revenir à un rythme défini par la fréquence vibratoire. A chaque retour à la position médiane, les bords libres s’appliquent l’un contre l’autre, réalisant la phase de fermeture du cycle vibratoire. Cette phase est importante car, d’une part, elle assure l’entretien de la vibration (par la création à chaque phase de fermeture, de la PSG qui déclenche la phase d’ouverture), et d’autre part, elle permet la synchronisation de la vibration des 2 CV.

L’accolement déficient au cours  du cycle vibratoire est responsable d’un souffle plus ou moins audible pendant la phonation.

La phase de fermeture et l’accolement des CV au cours du cycle vibratoire sont passifs: les forces de fermeture sont dues à l’action des forces élastiques des CV, à l’effet Bernoulli et à la variation de la PSG. Une recherche volontaire d’accolement des CV au cours de la phonation se traduit par une hypertonie musculaire développée dans les CV, avec rigidité des bords libres et au final, déficit des forces de fermeture.

La vibration des cordes vocales

Déroulement de la vibration

Une fois atteint le seuil phonatoire de la PSG, le bord libre des CV est écarté et permet la libération d’un «puff» d’air qui repousse latéralement en la déformant la portion musculo-membraneuse des CV. Dans le même temps, le «puff» d’air pousse la muqueuse et la soulève en la décollant du plan profond, créant une ondulation qui se propage à la surface de la CV.

Du fait de la déformation de la CV, des forces élastiques sont créées au niveau du bord libre et elles tendent à le ramener vers leur position médiane. Le passage du «puff» d’air crée également une force aspiratoire au niveau du bord libre (effet Bernoulli), force qui ramène également la CV vers sa position d’accolement.

Contrôle de la phase de fermeture du cycle vibratoire

La phase de fermeture du cycle vibratoire est purement passive: c’est la déformation obtenue au cours de la phase d’ouverture qui crée les forces de fermeture. Pour obtenir un cycle vibratoire facile à entretenir, facile à moduler, les CV doivent donc se laisser déformer en étant, pour chacune des positions correspondant à une hauteur et/ou une intensité donnée, le plus relâchées possible.

La difficulté pour les CV est de passer quasi instantanément, d’une situation de sphincter (phase pré-phonatoire, avec une tonicité qui permet l’accolement ) à celle d’une situation de vibrateur (cycles vibratoires avec déformation passive du bord libre). Tout est alors question d’équilibre...

Les altérations du timbre

Le timbre soufflé

Le souffle se définit comme la perception du bruit de l’air passant entre les CV, audible par dessus le fondamental et les harmoniques du timbre. Lorsque ce bruit est faible, il modifie la fourniture laryngée, donnant une impression de voix «assourdie».

  • GRBAS-I-R

-B0: absence de souffle

-B1: timbre feutré, perte de l’éclat, de la «brillance» de la voix

-B2: souffle audible (à l’attaque, en permanence, sur les finales...)

-B3: voix chuchotée (la voix n’est que souffle...)

  • Physiopathologie

A l’origine du timbre soufflé: le défaut d’accolement des bords libres des CV

  • Présence d’un obstacle empêchant l’accolement :

        - lésion organique développée à la surface d’une ou des 2 CV, suffisamment ferme pour ne pas être «écrasée» par la pression d’accolement des CV (nodule, polype, lésion para nodulaire, kyste, granulome, oedème)

        - sécretions, glaires

        - oedème de la muqueuse recouvrant les aryténoïdes (RGO), avec impossibilité d’affrontement des cartilages au cours de la phonation)

  • Présence d’une déformation en «encoche» du bord libre d’une ou des 2 CV:

        - sillon, sulcus, vergeture (glotte ovalaire)

        - cicatrice cordale (séquelle de chirurgie des CV, traumatisme lié à une intubation)

  • Impossibilité d’une ou des 2 CV à venir se positionner en adduction phonatoire:

        - paralysie ou parésie d’une CV ( paramédiane, intermédiaire ou latérale; en situation médiane, l’accolement des CV est souvent de bonne qualité)

        - immobilité cordale par atteinte de l’articulation crico-aryténoïdienne (luxation, ankylose, arthrite...)

  • Inefficaté des forces de fermeture du cycle vibratoire:

        - Hypertonie des CV responsable d’une rigidité du bord libre (moindre élasticité, diminution de l’effet Bernoulli...): dysphonie dysfonctionnelle hypertonique

        - Epuisement de l’activité du muscle inter-aryténoïdien et compensation par hypertonie du muscle CAL: défaut d’accolement postérieur («coulage») avec pseudo-nodules postérieurs (relief de l’apophyse vocale): dysphonie dysfonctionnelle hypertonique primaire, hypotonique secondaire

        - Hypotonie des CV avec bord libre détendu et glotte ovallaire : dysphonie dysfonctionnnelle hypotonique

Le timbre éraillé

L’éraillement se définit comme la perception d’un son, c’est à dire d’une vibration des cordes vocales, qui se surajoute au timbre normal de la voix.

  • GRBAS-I-R

-R0: absence d’éraillement

-R1: perception d’un «grésillement»

-R2: perception d’un son surajouté, intermittent

-R3: bitonalité (perception de 2 voix)

  • Physiopathologie

A l’origine du timbre éraillé: la désynchronisation de la vibration des bords libres des CV (les CV ne vibrent pas à la même fréquence)

  • Présence d’une lésion déformant le bord libre et modifiant sa compliance (sa «déformabilité»):

        nodule, lésion paranodulaire, polype, kyste, granulome

  • Présence d’une lésion développée dans la CV et augmentant sa masse vibrante:

        oedème, polype, kyste, granulome

  • Présence d’une rigidité du bord libre d’une des CV (accélération de la vibration par la rigidité)

        - sillon, sulcus, vergeture

        - kyste intracordal

  • Asymétrie de tonicité des CV (différence de masse vibrante liée au niveau de contraction des muscles vocaux):

        - paralysie ou parésie d’une CV

        - dysphonie dysfonctionnelle avec tonicité cordale asymétrique

Le défaut d’accolement potentiellement associé accentue l’éraillement: la phase de fermeture est trop réduite et le temps de contact entre les 2 bords libres insuffisant pour permettre la synchronisation des vibrations

Le timbre rauque

La raucité du timbre est une caractéristique difficile à décrire. Sur le plan de la perception, on peut reprendre la définition de Helmhotz: “Quand on écoute 2 sons purs de fréquence différente, émis simultanément, leur superposition produit la perception de phénomènes différents:

  • Jusqu’à un écart de fréquence entre les 2 sons de 4 à 6 Hz, on perçoit un son pur à la fréquence moyenne des sons originaux, et dont l’amplitude fluctue lentement (« battements » bien connus des accordeurs de piano).

  • Si l’écart fréquentiel entre les 2 sons augmente, les battements s’accélèrent et ne sont plus perçus lorsque l’écart dépasse une dizaine de Hz. A la place de percevoir les battements, l’auditeur perçoit un son que Helmholtz caractérise de « dur, discordant, intermittent, et rugueux (traduit de l’allemand rauhig, rauque en français) »

- GRBAS-I-R

-R0: absence de raucité

-R1: perception d’une raucité intermittente

-R2: perception d’une raucité permanente

-R3: timbre dur, sans aucune composante vibratoire

- Physiopathologie

A l’origine de la raucité: disparition ponctuelle ou plus ou moins étendue de l’espace de Reinke avec accolement de la muqueuse au plan profond.

La raucité est une notion que ne fait pas l’unanimité en tant qu’altération particulière et spécifique du timbre. Ce terme est souvent utilisé pour décrire une voix grave, une voix forcée, ou parfois pour une voix globalement altérée, devenant ainsi synonyme de dysphonie.

Dans son livre « Dysphonies et rééducations vocales de l’adulte», Carine Klein-Dallant interview le Dr Guy Cornut (célèbre phoniatre lyonnais), et le questionne concernant la définition de la raucité. Celui-ci explique: “ On utilise habituellement le terme de «raucité» pour caractériser un son qui donne à l’oreille l’impression de quelque chose de rugueux, de rapeux, de dur...”

L’intérêt de définir la raucité et surtout de la caractériser, de la repérer, est de pouvoir la mettre en lien avec des lésions particulières des cordes vocales. Ainsi, quand on perçoit de la raucité, on peut penser qu’à un endroit d’une ou des cordes, la muqueuse ne vibre plus et ne peut plus se décoller du plan profond pour onduler.

Entendre de la raucité va permettre au phoniatre de rechercher au cours de l’examen vidéolaryngoscopique, une zone d’accolement de la muqueuse sur le plan profond, sur des cordes vocales qui peuvent paraître par ailleurs normales.

  • Présence d’une lésion déformant le bord libre et créant un accolement entre la muqueuse et le plan profond:

        - kyste épidermique, kyste muqueux par rétention

        - nodule ancien, fortement kératinisé (envahissement et disparition de l’espace de Reinke en regard du nodule)

  • Présence d’une lésion développée dans la CV sans la déformer :

        - kyste épidermique

  • Présence d’une lésion en encoche du bord libre ou de la face supérieure d’une des CV :

        - sillon, sulcus, vergeture

        - cicatrice

  • Présence d’une hypertrophie de l’espace de Reinke, empêchant les vibrations et les ondulations organisées de la muqueuse:

        - Oedème de Reinke

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